LES VIEILLES POTERIES DU COTENTIN SONT EN TRAIN DE RENAÎTRE
« L'industrie de la poterie du Cotentin, écrivions-nous dans le numéro de l'Ouest-Éclair du 4 septembre courant. que l'on pouvait croire à jamais disparue sous l'effroyable concurrence de la fabrication moderne, est parvenue à donner encore signe de vie ; déjà des fils de vieux potiers de Néhou se sont décidés à reprendre et à moderniser la fabrication primitive si longtemps en honneur dans le pays ; avant peu nous pourrons constater que la céramique du Cotentin n'a pas dit son dernier mot et que la vieille terre du pays, habilement travaillée, cuite à point, peut fournir de solides ustensiles ou objets d'usage courant aux gens de la Manche, fidèlement attachés à l'industrie de leur région. »
Cette agréable constatation, nous avons entrepris le voyage de Saint-Jacques-de-Néhou. tout exprès pour la faire, et nos lecteurs bas-normands seront certainement heureux d'apprendre qu'il existe aujourd'hui dans cette petite commune qui compta, jadis, jusqu'à 70 potiers occupant chacun plusieurs ouvriers, une poterie sagement modernisée, dont le rendement est déjà fort appréciable et qui reconstitue dans la contrée cette collaboration familiale si longtemps en honneur dans les véritables dynasties de potiers de Néhou ou de Saussemesnil.
On nous avait dit : « Vous cherchez le potier de Néhou, M. Louis Hamel vous n'aurez pas de peine à trouver sa demeure ; vous la reconnaîtrez facilement, à quelques mètres de l'église Saint-Jacques dont vous n'oublierez pas de remarquer au passage les trois curieux bénitiers en terre du pays, à la multitude de pots, récipients, briques et objets divers qui sèchent au soleil en attendant l'heure de la cuisson. »
De fait, M. Louis Hamel a la seule enseigne qui convienne à cet excellent artisan et nous étions bien sûr de ne pas nous tromper d'adresse, lorsqu'à l'improviste nous pénétrâmes en compagnie de M. Marc Nicollet, secrétaire de la Société artistique et industrielle de Cherbourg, le plus compétent des céramistes de la région, dans le curieux atelier où le potier de Néhou se trouvait en plein travail avec deux, sur quatre, des fils qui sont devenus ses collaborateurs.
« Vous le voyez, nous a dit, les présentations faites, M. Louis Hamel, la poterie de Néhou n'est pas morte, puisque vous nous voyez à l’œuvre, en un moment où les occupations des champs, que je n'ai jamais abandonnées, car j'ai une famille de 7 enfants à élever et. nourrir, nous permet de travailler comme le faisaient nos anciens, cette terre que nous allons extraire nous-mêmes de nos propres champs..
« Resté, mon frère mort il y a quelques années, dernier survivant des potiers d'autrefois, j'avais dû interrompre la poterie pendant que la guerre me retenait mobilisé loin des miens, de mon atelier et de mon four ; je croyais moi-même l'époque des poteries de Néhou passée, et puis peu à peu le métier m'a repris et me voilà redevenu plus potier que jamais avec mes quatre garçons qui ont appris le métier, qui m'aident et me permettent de faire face à des commandes de plus en plus importantes et nombreuses.
« Ces commandes. je les livre moi-même chaque semaine au marché de Bricquebec, quelquefois je vais aussi au marché de Saint-Sauveur-le-Vicomte et, suivant la tradition prochaine écouler, à la grande foire de Lessay, le contenu de quatre voitures que nous commencerons bientôt à cherger. »
Tout en parlant. M. Louis Hamel qui est resté assis devant son tour, continue à travailler ; en quelques instants, sous les yeux stupéfaits des visiteurs, il a transformé quelques poignées de la jolie terre grise de Néhou en des objets variés ; tour à tour sortent de ses doigts habiles une tasse, un pot à café, une verseuse une bouteille, une chaufferette, un plat à soupe, une jardinière, un godet du pays, une laitière de couverture, une terrine à lait, etc... ; près de lui ses fils achèvent des ustensiles plus compliqués, moins classiques si l'on peut dire, et autour d'eux des objets plus vastes, plus importants disent assez que les potiers de Néhou, tout en restant fidèles aux formes anciennes si recherchées des amateurs de céramiques bas-normandes, ne se refusent pas à actualiser quelque peu leur art. Les procédés de fabrication sont aujourd'hui restés à peu près les mêmes que ceux de jadis, mais l'usage du moteur est venu apporter aux potiers le plus précieux des secours ; c'est le moteur qui actionne non seulement les tours qu'il fallait mouvoir, jadis à la main, dans les conditions les moins sûres, mais aussi le malaxeur, le crible, le broyeur qui nettoient cette terre de Néhou. doublement chère aux potiers, car ils ne cessent de la labourer et de la cultiver que pour la transformer en objets parfois artistiques mais toujours utiles.
Après nous avoir initiés, si l'on peut dire. aux secrets de sa fabrication, qui absorbe actuellement trois mètres de terre par semaine, M. Hamel nous a fait visiter son four, encore tout rempli des 1.800 objets variés qui composaient sa dernière cuisson.
Ce four. qui a plus de cinq mètres de profondeur, dont quatre mètres au moins de charge. se chauffe au bois. comme les fours des potiers de jadis ; chaque cuisson dure de 24 à 30 heures. suivant les saisons, et nécessite une chauffe progressive et naturellement ininterrompue, qui dépense plus de 150 stères de bois par an. Entre temps, une vingtaine de livres de sel jetées dans le brasier vont donner aux poteries qui sortiront brunes du four, ce vernis qui leur donne un attrait si particulier.
Cet article, déjà long, ne devant pas se transformer en un cours de céramique, force nous est d'arrêter là nos explications ; nous en aurons, en tout dit assez pour que tous ceux qui s'intéressent aux poteries du Cotentin soient rassurés sur leur sort et sur leur avenir.
Les fabrications sont recommencées par des gens actifs, entreprenants et qui rêvent de marcher, en modernisant sagement les procédés de fabrication, sur les traces des ancêtres dont ils se réclament et dont ils veulent être les successeurs.
Il ne nous reste, en bons Normands, fidèlement attachés à leur province, à son histoire et à ses traditions, qu'à leur souhaiter la chance et le succès dont leur œuvre est digne et qu'ils méritent eux-mêmes à tous égards.
Edmond COMPÈRE.
Les similitudes entre Sauxemesnil et Néhou se retrouvent non seulement dans leurs poteries mais aussi dans l'organisation du métier. On sait depuis longtemps que la place tenue par les TRAVERS de Néhou est comparable à celle des MOUCHEL, LEPOITTEVIN et VALLOGNES à Sauxemesnil. Le monopole familial longtemps attaché à l'exercice de la profession semblait l'expression d'une volonté de conserver le métier à l'intérieur de la parenté, comme pour préserver d'éventuels secrets professionnels. Derrière ce monopole se dessine la nature particulière de ces communautés de métier qui n'ont jamais pris la forme corporative connue. Il s'agit en effet de communautés usagères qui n'existent devant la loi qu'au regard de leurs droits de prendre la terre et du bois et d'user d'un four à pots. Parler à leur endroit d'organisation professionnelle est donc doublement inapproprié à la fois par l'absence de statuts écrits et par le caractère majoritairement illégal de ladite communauté. Mais cela n'empêche : le dépouillement de Chartrier de la Grimonnière déposé il y a peu aux Archives Départementales a permis de progresser dans la reconstitution de la profession handicapée qu'elle était l'éclatement chronologique des sources et l'impossibilité de relier les siècles entre eux.
1 - Le privilège et le monopole.
Que savait-on jusqu'ici ? Peu de choses sinon que 5 potiers TRAVERS auxquels s'était joint un intrus du même nom avaient obtenu par plusieurs arrêts du Parlement de Rouen la confirmation de leurs droits à posséder un four à pots à Néhou à la fin du règne de Henri IV. La sentence étant particulièrement imprécise et en l'absence de registres paroissiaux il était particulièrement délicat de prêter foi aux protestations de 35 potiers et propriétaires de 20 fours à pots Néhouais qui, 1734, se réclamaient de cet ancien privilège. De leurs déclarations devant justice il ressortait que, si certains TRAVERS étaient plus légitimement fondés que d'autres à exercer, on n'aiderait pas la justice royale à tirer les choses au clair. Bref, une embrouille géante où tout le monde couvrait le monde dès que l'autorité publique pointait son nez. Grâce au dépouillement du tabellionage local et du chartrier de la Grimonnière, il a été possible de montrer comment s'est formé cet ensemble familial qu'on peut qualifier de tribu, au sens ethnologique du terme. On se dit parent, on se sait parent, on se découvre parent sans trop savoir comment : c'est toute une conception de la famille au sens le plus large du terme comme en l'entendait au Moyen-âge. Et, à défaut d'acte de baptêmes, ce sont des actes notariés qui tiennent lieu de preuves de parenté devant justice. Tout s’articule en effet autour des fieffes de Bellegarde de l’Hôtel Dieu de Saint-Lô, une génération avant Gille de Gouberville, fieffes qui sont le point de départ du développement du hameau potier de Montroch, un hameau de défrichement tardif a sud-est de Néhou. Cela n’empêche en rien l’existence de la profession ailleurs et autrefois à Néhou. Ces fieffes sont des concessions de défrichement accordées à des Travers comme à des Bredonchet tout au long du XVIème siècle. Cest concessions sont assorties de paiements de rentes en nature, Tantôt de pâtisseries au beurre, tantôt de bois à brûler, tantôt de poteries de grande taille et de surets, c’est-à-dire de jeunes pommiers à greffer. Ces concessions sont pour partie des pépinières à pommiers : ces défrichements sont un moment de la conversion de la forêt de ce pays en bocage. C’est l’entrée à petits pas dans l’économie du lait et de la pomme qui amorce de décollage ou redécollage de cette activité potière. Ces fieffes étaient héréditaires et, à défaut de donner de la bonne terre, elles ont fourni du travail à tout un ensemble de parents qui trouvaient là une activité complémentaire. Il y a forcément un rapport entre elles et d’une part l’existence de métairies à beurre tenue aussi par des laboureurs Travers et attachées aux seigneurs locaux et d’autre part l’existence d’adjudicataires forestiers ou ventiers Travers repérés dans les années 1620-1630. On a des raisons de penser que les principaux hameaux du sud de Néhou aux frontières du Val de Cie ont également obtenu de gré ou de force des seigneuries voisines un droit au four à pot en hameau. Le hameau Piquet, celui de Roumare, celui des Vachers, celui des Travers : Montroch n’était que le plus important d’entre eux et sans doute le plus entreprenant.
B) Logique du clan
Tout le reste découle en effet d’un subtil mélange de droit usager, de Coutume Normande et de mauvaise foi partagée, la seule qui donne du sel aux choses. Au commencement était le privilège, c’est donc sur le principe usager de l’amasurement qu’il sera transmis, c’est-à-dire, de chef de famille en chef de famille, de fils aîné en fils aîné, et attaché à une maison en dur sise sur la parcelle fieffée. Rien n’interdisait au chef de famille de faire travailler ses frères, ses beaux-frères ou ses enfants, seule comptait l’unité autour du foyer initial. Longtemps les textes se réfèrent à ces « communités de vie » formées par la fratie et dans laquelle le chef de famille était une sorte de patron. Les choses auraient été simples si l’égalité entre les frères imposée par la Coutume n’avait nécessité la mise au point de règle de fonctionnement dûment ratifiées devant notaire. Il s’agissait de convenir entre frères de rotations de jouissance du matériel, rotations calées sur un calendrier hebdomadaire dont on trouve l’équivalent à Sauxemesnil dès la fin du XVIème siècle. Le produit de la vente des pots est partagé entre eux comme une simple association de particuliers. C’est à la génération suivante que le mécanisme se complique : ces « communités de vie » fondées sur l’indivis se transmettent alors aux cousins germains et collatéraux qui savent qu’ils ont un droit sur le four à pots de leur proche parent. Les textes de la juridiction de la Baronnie de Néhou parlent alors de « co-tenants » d’un four à pots. Libre à eux d’un user ou non. Libre à eux également d’employer comme valets de potiers une main d’œuvre étrangère au privilège comme celle des Gyot, Hamel, Lefranc, Padet et Delauney. Signe que ce n’est pas dans le secret des vernis ou du tour de main que résidait le monopole familial. L’asbence de salariat, le bois volé si nécessaire, le coût de revient très bas sont la clef du développement d’une poterie vendue à vil prix mais qui supporte longtemps la concurrence grandissante de la vaisselle de bois, d’étain puis de matériaux plus nobles. Les potiers payent très mal leur main d’œuvre, quitte à la régler en part de fournée. L’apprentissage est long et donc vulnérable au tirage de la Milice garde-côte. Travailler chez les potiers est plus souvent un refuge qu’un moyen de promotion sociale. Et c’est comme cela que de véritables canailles ont pu échapper à la justice et constituer des bandes dans l’activité criminelle est notoire au débur du XVIIIème siècle. Une illégalité pouvait aisément en cacher une autre.
C) Un nid de frelons
Si l’illégalité s’est développée, c’est en raison de l’explosion du nombre de potiers autour de chaque clan dont la confusion homonyme a été l’objet de tous les soins. Les mariages entre Travers sur plusieurs générations ne sont pas rares. Seuls les avernoms les distinguent entre eux, et il n’est pas certain que tout le monde s’y retrouve. On comprend en effet qu’à l’intérieur de la fratie puis à l’intérieur l’aînesse du four à pots devient vite insupportable. La multiplication des fours à pots n’a pas de rapport direct avec la prospérité de la profession. Elle est d’abord l’affirmation de la famille au détriment du clan sinon la volonté de faire bande à part. La seule construction d’un four cousin ne suffisant pas à justifier un droit, le potier rachète le droit du four d’un collègue homonyme ou mieux encore la fieffe sur laquelle un four à pots a existé « de temps immémorial » et y construit un nouveau four. On marie sa fille à un potier « d’ancienne lignée » et le tour est joué. C’est ainsi qu’on peut aujourd’hui démontrer que la grande majorité des clans potiers de Montroch, ceux des Travers dit Le Vrétot, Travers dit Piquet, Travers dit Mon Amy, Travers dit Rouge-Terre, Travers dit Levacher, Travers dit Merciot, Travers dit Robinot, Travers dit Picot et Travers dit Les Lauriers sont descendants par lignage direct ou par alliance de l’obscur fieffataire Colin Travers (dit Mon Regnault) en 1536. Comment s’étonner à l’intérieur de ce vaste ensemble familial ceux qui ne sont pas potiers, soient bûcherons, cabaretiers, sabotiers et même garde-bois. Bien plus qu’un monopole de la poterie, c’est une colonisation familiale qui satellise ce qui l’entoure, ressources comme individus autour de son propre sanctuaire, la Chapelle du Belarbre, alias la Chapelle de Montroch, haut lieu de contrebande de tabac mais aussi de distribution de pain béni pour les pauvres. Lorsqu’en 1711, les Seigneurs de Magneville et Baron de Néhou acquièrent de l’Hôtel-Dieu de Saint-Lô les fieffes de Bellegarde, ils mettent la main sur un véritable nid de frelons qu’ils se dépêchent d’aiguiller vers leurs voisins propriétaires forestiers trop occupés à partager et exploiter rapidement les massifs au détriment des usagers. Lorsque les propriétaires n’en peuvent de compter les gardes estropiés ou démissionnaires, ils en appellent à l’autorité publique. Montroch tourne à la rébellion armée et ne se contente plus d’intimider les gardes, elle devient une sorte de république de beaux-frères où les potiers tiennent une bonne place et qui va jusqu’à battre monnaie. Les fours abattus en novembre 1718 par la force royale sont reconstruits le mois suivant sans les gardes bois n’y trouvent à redire, si on excepte le modeste et héroïque Nicolas Blondel qu’on suspecte de pactiser avec les seuls potiers légitimes. C’est grâce à lui que la majorité des coupables a été arrêtée, puis jugée à Bayeux et c’est sur la base d’un compromis interne que l’ordre est revenu. Montroch s’est subrepticement attribué la totalité du monopole sous prétexte de revenir au privilège initial. Cinq droits sur un seul hameau, les fours surnuméraires ont été abattus et ce n’est plus qu’une dizaine de potiers qui exerce alors après que la sentence royale de 1739. Les procès-verbaux des gardes de la Baronnie de Néhou montrent que le pillage de bois reprend de plus belle et que les lieux d’extraction ne sont toujours pas clairement assignés. L’un des potiers se fait surprendre ainsi à tirer de la terre à pots dans la Lande des Vaux. Il se sont néanmoins réunis à quelques reprises jusqu’au début du XIXème siécle pour fixer des règles de travail communes : l’habituelle indiscipline au rebouchage des fosses mais aussi le calendrier annuel d’activité. Leur autorité est pour autant loin d’être reconnue et la judiriction de la Baronnie est régulièrement inviter à statuer entre prétendants homonymes légaux et illégaux. Leur dernière opération a été, sous le règne de Louis XVI l’acquisition du Buisson de Néhou dont le défrichement a les mêmes conséquences que la liquidation de la Forêt de Brix pour Sauxemesnil. L’acquéreur qui leur fieffa les lots de ce petit massif n’imaginait pas dans quel guêpier il avait mis les pieds. Le défrichement devait être le prélude à une mise en valeur qui n’a jamais eu lieu parce que les potiers ne l’entendaient pas de cette oreille et souhaitaient en faire leur réserve de bois. Ce qui explique la flambée des cours.
L’épilogue potier est le même qu’à Sauxemesnil :l’abolition des privilèges par la Révolution ne gêne en rien un monopole familial de fait, à ceci près que les rares intrusions éttangères sont fixées par des liens matrimoniaux tissés depuis près de deux générations, alors qu’à Sauxemesnil l’ouverture aux étrangers est postérieure à 1791. Il est remarquable d’ailleurs que ce soit cette petite communauté néhoise resserrés qui ait adopté bien avant ses concurrents le séchage à la vapeur.
Patrice Mouchel-Vallon
Professeur au lycée Alain
Alençon
Introduction
La production des trois centres potiers du Cotentin avait plus qu'un air de famille jusqu'à l'aube du XXème siècle. En effet, il est assez souvent difficile de nos jours d'attribuer à tel ou tel centre une poterie sans prendre un risque d'erreur. Les sites étant distants d'à peine une quarantaine de kilomètres, des échanges eurent lieu, notamment au niveau de l'abondante main-d'œuvre nécessaire. La littérature sur le sujet cite cependant assez peu de familles potières allant d'une commune à l'autre.Ceci est certainement l'explication du fait que les patronymes de ces dynasties furent autant ancrés au terroir.Il serait trop long de les citer ici – et là n'est pas l'objet – mais il est bien difficile d'évoquer Vindefontaine sans citer les Ledanois ou à Sauxemesnil les Mouchel et Lepoittevin. Quant à Néhou, Travers était synonyme de famille potière tout comme Hamel qui fut d'ailleurs la dernière famille à exercer cet art en Cotentin.Chaque centre avait donc ses patronymes mais aussi un objet devenu emblématique avec le temps.1. Les fontaines richement décorées au kaolin à Vindefontaine.2. Les pichets anthropomorphes dits « Marquis » à Sauxemesnil.3. Le pot cochon à Néhou, pichet à cidre dont la partie supérieure symbolise la tête de l'animal.
Un peu d'histoire...
La production de Vindefontaine qui déclinait depuis le milieu du XIXè siècle ne verra pas le début du suivant, prenant fin en 1895 ; celle de Sauxemesnil ne survivra pas 10 ans à la Grande Guerre …
A Néhou, malgré la partition du territoire en 1899 en deux entités, un seul potier – Pierre Hamel – va continuer son activité pendant la guerre et même jusqu'en 1920, année ou son frère Louis (1877 – 1941) va lui succéder , secondé par ses quatre fils.
L'atelier produira jusqu'en 1939 des objets identiques à ceux des ancêtres, mais aussi de nouvelles formes décorées à la molette ou avec des décors botaniques moulés ou sculptés ( vases à fleurs, etc….)
Les pots cochon sortiront en grand nombre de cet atelier … d'où une confusion !
Historique du Pot Cochon
L'essentiel de la production des trois centres potiers était très en lien avec la consommation, la conservation ou la transformation des deux richesses locales d'alors, le lait, le cidre et leurs dérivés.
Contenants à cidre et calvados étaient très demandés par la population rurale mais aussi urbaine. Des pichets de foire dont les tentiers faisaient un usage conséquent aux « kaunnots », les formes des pichets à cidre furent très différentes.
A Néhou, la plus originale fut incontestement le pot cochon, au point d'en devenir la pièce emblématique du centre.
De nombreux auteurs ont attribué « la paternité » de cette production au potier Louis Hamel. S'il est vrai que son atelier en produira un grand nombre, la création est beaucoup plus ancienne et remonte au moins à la seconde moitié du XIXème siècle !
Trois périodes de production peuvent être retenues :
Du XIXéme siècle à 1919 :
Les exemplaires de cette période sont rares et souvent difficiles à différencier de la période suivante.
De 1920 à 1939 :
L'âge d'or pour le pot cochon ; il est alors générique ou dédicacé, fabriqué par l'atelier Louis Hamel qui relance la production.
De 1954 à 1977 :
Le potier Alphonse Hamel (1911-1977), 4ème fils de Louis, reprend la forme et produit des pots cochon en terre brute ou vernissée
Pour la 1ère période, je ne connais avec certitude que trois exemplaires pour lesquels toute confusion avec la seconde période est exclue :L'un daté 1873 et patronymique « A… »Le second daté 1874 et dédicacé du prénom « P. …. »Le 3ème dédicacé « A ... …. X… ». Par chance, ce pot est conservé depuis son modelage par la famille destinataire, sachant qu'il fut commandé pour la naissance de l'enfant X au tout début du XXè siècle.A la demande des propriétaires de ces trois pichets, la dédicace reste confidentielle et leur reproduction photographique exclue.Pour la seconde période, les exemplaires ne manquent pas !Les pots de cette époque sont souvent patronymiques, parfois datés ou porteurs d'une phrase humoristique.L'écriture très stylée de Mme Marie Hamel, néeTravers-Pinton, épouse du potier Louis Hamel, est alors facilement reconnaissable et permet de les différencier de la 1ère période.On notera que la classique dédicace « Souvenir de Néhou » semble moins commerciale à la fin des années 1930 et se transforme en « Souvenir de Normandie » …A cette même époque, le nom du lieu où sera vendu l'objet aux touristes adeptes des bains de mer apparaît. Carteret, Barfleur, Barneville sur Mer sont autant de sites touristiques d'où il est de bon aloi de ramener un souvenir original !Le lieu de vente dans un dépôt apparaît parfois gravé sur la panse : Bricquebec et Catteville, communes où la poterie avait un point vente.Pour la 3ème période, Alphonse Hamel, dès 1954, dans un four innovateur va reprendre la production du pot cochon.Les critères de différenciation se font au niveau des oreilles (plus larges), du cou (moins dégagé ),du vernis (quand ils sont vernissés !) et de la fréquente signature « A. Hamel / Néhou St J./ Mche »Il sont en revanche très rarement patronymiques.Plusieurs potiers contemporains locaux ont relancé la production de ces pichets; leur marque personnelle se trouve au talon et évite ainsi toute confusion.Conclusion
S'il est indéniable que le potier Louis Hamel a relancé cette production, il est abusif de lui en attribuer la paternité !
La création remonte à l'aube du dernier quart du XIXè siècle, probablement pas avant 1860 ?
Ces notes sont le résultat de 35 années d'observation mais aussi de recherches iconographiques sur le sujet.
Que les propriétaires qui m'ont permis d'observer ou de photographier leurs pichets, souvent collectionneurs avisés, trouvent ici l'expression de ma gratitude.
1ère partie : de l’enfance à la démobilisation
Un regard, même furtif, porté sur sa tombe pourrait résumer sa vie avec les inscriptions : Alphonse HAMEL– potier – 1911-1977. Sa profession, toutefois, incite à pousser plus loin les recherches sur le personnage. Né à Saint-Jacques-de-Néhou le 8 août 1911, le « millésime » nous porte à considérer qu’il s’agit de l’année où la célèbre JOCONDE fut volée au Louvre et où ADMUDSEN l’explorateur norvégien atteignit le Pôle Sud. Quatrième garçon d’une famille de sept enfants, où la profession de son père et de ses frères était d’être potiers, il semblait logique qu’il le devint un jour. Il entra à l’école primaire pendant la 1ère guerre mondiale, son père étant mobilisé. En 1922, il termina sa scolarité sans pouvoir passer le certificat d’études, car le jour de l’examen, il y avait du travail urgent à l’atelier. Hormis la notoriété de son père Louis, travaillant de concert avec son frère Pierre (célibataire) les quatre fils avaient chacun une tâche principale bien définie : Hubert, l’aîné, les gros travaux : extraction de la terre, charriage du bois ; Pierre : le tournage des poteries avec Louis (fils), peut-être le plus doué, et Alphonse : le travail de « l’arpette » : collage des anses et des boutons sur les pots et faîtières. C’est donc seul, et après son travail journalier, qu’il apprit le métier de Potier, en autodidacte.
Bien entendu, la famille HAMEL vivant de la poterie devait vendre sa production sur les marchés locaux : Valognes, Bricquebec, Saint- Sauveur-Le-Vicomte, Les Pieux, etc…et, bien sûr, sur la foire de lessay où l’incontournable Louis BEUVE se prit d’amitié sincère pour ce clan HAMEL et son chef Maître Louis. La famille partait à la foire de Lessay avec « 3 banneaux » de poteries ainsi que l’intendance pour presque une semaine de séjour sur la lande. Toujours est-il qu’Alphonse HAMEL, cherchant un peu à agrandir son cercle d’activités, s’acheta son premier vélo avec la vente de peaux de taupes séchées, taupes capturées dans le potager familial.
Il put ainsi se rendre facilement à Saint-Sauveur-le-Vicomte et adhérer à la clique Saint-Michel où il apprit le clairon. Dans les années 1935-1937, après son retour du service militaire au 43ème Régiment d’Artillerie à Caen (classe 1933), il fit connaissance de Marthe TRAVERS (dit le VRETOT) ; Maman donc, au cours du mariage d’une cousine commune. Ils n’étaient pourtant pas cavalier et cavalière mais une attirance forte se produisit entre ces deux jeunes gens. Maman redécouvrait alors, depuis la retraite de sa tante Marie TRAVERS en 1934, ses racines « mourôtaises » et la poterie en était une très forte.Des fiançailles furent envisagées.
Hélas, des bruits de bottes se faisaient entendre Outre-Rhin et, Alphonse HAMEL fut mobilisé le 3 septembre 1939. Il quitta donc la poterie paternelle (ainsi que ses trois frères) pour rejoindre à nouveau le 43èmeRégiment d’Artillerie à Caen, puis les arrières, la Ligne Maginot (Ardennes et Meurthe et Moselle). Devenu « trompette » de la 2ème batterie et Ordonnance de son lieutenant, il put se tenir à l’écart des turpitudes en compagnie d’un adjudant de batterie (à la Courteline) du patronyme de FAUCON, mais dont la troupe l’avait affublé avant d’en être devenu « un vrai ».
A la Pentecôte 1940, Alphonse HAMEL est en permission à Saint-Jacques-de-Néhou et la Wehrmacht franchit la Meuse en Belgique, à Dinant le 12 mai 1940. Il rejoint le Front pour être fait prisonnier avec sa batterie à Germiny, entre Toul et Nancy. Suivent trois semaines d’internement dans un camp à Essey-les-Nancy, presque sans nourriture, et le transfert au stalag IX A , Komando 402 à Ziegenhain, (le sergent François Mitterand y était aussi mais au stalag IX B, d’où il s’évada d’ailleurs).
Alphonse HAMEL se retrouve alors affecté en commando de travail, chez le Baron VON BAUMBACH, à couper des sapins dans le domaine au profit de la Wehrmacht. Il y reste jusqu’au printemps 1942. Le fils du Baron, lieutenant de la Wehrmacht, étant venu en permission après une année en Russie, est découvert pendu dans le grenier du château. Pour des raisons de propagande (un officier ne se suicide pas), Alphonse HAMEL est changé d’affectation, car c’est lui qui avait découvert le corps dans le grenier. Il est placé chez un minotier qui, lui, ne respecte pas la réglementation en vigueur. Un jour d’énervement, il lui flanque son poing dans la figure et passe au Tribunal. La fraude sur les horaires d’emploi lui sauve la mise et c’est l’employeur qui est condamné. Sa dernière affectation de prisonnier de guerre est dans une ferme à Westuffeln près de Kassel où il termine la guerre, en ayant fait un prisonnier : le garde champêtre du village (Bauerfûhrer) qui, après le passage d’une patrouille américaine de la 2ème division d’Infanterie, ayant parlé au prisonnier français, en fit le Chef du village ! et donc le garde champêtre se rendit à Alphonse HAMEL.Le 30 mai 1945, Alphonse HAMEL quitte définitivement son statut de prisonnier de guerre et est rapatrié vers la France. Il arrive à Saint-Jacques-de-Néhou le 6 juin1945.
Que de changements : son père est décédé en novembre 1941 et la Poterie n’existe plus en tant que telle. D’autre part, Marthe TRAVERS (ma mère) n’est pas à Saint-Jacques-de-Néhou, mais à Paris où est né mon frère Eric, ce que Papa savait. Papa devait régler son processus de démobilisation à Cherbourg, ce qui n’eut lieu qu’en Août 1945 ; il avait alors 34 ans. Avec beaucoup de pressions contraires, lui envisageait néanmoins une union avec Maman et il eut l’attitude qu’il fallait en reconnaissant l’enfant qui devint son fils adoptif. Le mariage eut lieu le 20 septembre 1946 et moi-même naquit le 9 juillet 1947.
2ème partie : Sa vie de potier.
Alphonse HAMEL se reconvertit comme ouvrier agricole, au service tant de sa mère que de son beau-père, jusqu’en 1950 où là, il retrouva un emploi d’ouvrier potier à Moon sur Elle (près de Lison) à la briquerie LANGLOIS. Il vécut donc en déplacement pendant trois ans, partant en mobylette de Saint-Jacques-de-Néhou au Ham (gare de Montebourg), prenant le train jusqu’à Lison, revenant le mercredi soir, repartant le jeudi matin et rentrant le samedi.
S’étant en quelque sorte remis « le pied à l’étrier » il décide, sur les instances de son épouse, de tenter la grande aventure et de s’installer comme potier à Saint-Jacques-de-Néhou. Tout pourtant devait être recréé « ex nihilo » car, de l’ancienne poterie de son père il ne restait rien.
Alphonse HAMEL tente le challenge, comme on dirait actuellement, et après la vente d’un champ pour financer l’investissement, il achète 2000 briques afin de reconstruire un four, achète un malaxeur et restaure un vieux tour en lui adjoignant un moteur électrique.
Il effectue seul la construction de son four, dans le jardin de la maison familiale (et ce four, qu’il fit protéger d’une toiture, existe toujours près de 60 ans après, alors que l’existence moyenne d’un four de potier était de 30 à 35 ans autrefois). Il commit une petite erreur basée sur une économie de briques dans la construction de la cheminée du four, en l’élevant par réduction du volume du conduit. Ainsi, pour une économie très minime, il empêcha un tirage optimum de la cheminée et à sa première cuisson au début du printemps 1954, force fut de constater que la température dans le four ne dépassait que faiblement les 900 degrés. Il y manquait une centaine de degrés. C’est l’entrepreneur TRUFFERT de Cherbourg, lequel avait procédé à l’installation du malaxeur, qui lui suggéra de mettre bas sa cheminée et de la reconstruire à montants parallèles, ce qu’il fit. Sans défourner le contenu du four, il reprit alors la cuisson interrompue et obtint la température voulue, voire même au-delà. Le four fonctionnait alors parfaitement. Le premier défournement fut un grand moment pour toute la famille, car c’était une réussite totale et la satisfaction du Potier fut à la hauteur des efforts consentis.
photos famille HAMEL
Ainsi au printemps 1954, y avait-il pour quelques décennies encore un potier à Mourot, ex-parcelle de l’ancienne commune de Néhou.
Malgré ce succès technique il fallut néanmoins, assurer la subsistance de la famille par la vente des poteries fabriquées. Les débuts furent très durs. Papa avait comme prix de référence, les prix de 1939 ; nous étions en 1954-1955 et Maman dut se fâcher afin de réaligner les prix sur le cours de la vie de l’époque.
Quelques articles journalistiques, tant dans la « Presse de la Manche » que dans « Ouest-France », incitèrent les touristes à fréquenter la Poterie de Mourot, d’autant que papa figurait dans le guide Michelin. C’est alors que, sur le planitre (en herbe) de la place de l’église, certains jours de la période estivale, on voyait un tel nombre de voitures de visiteurs qu’un habitant de Mourot me demanda un jour d’été, à brûle-pourpoint, croyant à un enterrement…. Mais, c’est la messe d’enterrement de qui aujourd’hui ?
La réinstallation de la poterie fut donc un succès et Alphonse HAMEL, dans sa modestie naturelle, se prêtait toutefois assez facilement aux exercices de notoriété : photos, articles de journaux, films de particuliers et jusqu’à la Télévision Régionale (Normandie) en 1965. L’ensemble de son travail fut également filmé à titre officiel par une équipe cinématographique du « Musée des Arts et Traditions Populaires » et ce document précieux doit toujours figurer, en bonne place dans les archives de cet organisme.
Ma mère avait toujours eu l’espoir qu’une saison la poterie HAMEL puisse se transporter à nouveau à Lessay afin d’y reprendre une place à la foire. Hélas, cela ne put jamais se produire car, arrivé au mois de septembre, toute la production de poteries était vendue sur place. Je crois pouvoir dire que ce fut un doux rêve que ma mère ne put réaliser.
Malgré son activité dense (car il travaillait seul comme potier), Alphonse HAMEL savait se ménager quelques dérivatifs et les matchs de foot-ball du dimanche sur le stade de Saint-Sauveur-le-Vicomte étaient un grand moment pour lui. Il est vrai que ses quatre garçons y étaient licenciés. Spectateur inconditionnel (pas toujours objectif, il faut bien en convenir), il fut la terreur pour les arbitres (surtout lorsque l’équipe de Saint-Sauveur avait la malchance de perdre). Il lui arrivait pour pouvoir crier plus fort de retirer son dentier, qu’il tenait alors dans sa main droite, et de monter à l’assaut (verbal bien sûr) de l’arbitre de touche dont le regard circonspect laissait supposer qu’à tout instant le dentier pouvait devenir une arme de jet (pour le moins mordante).
Saint-Jacques-de-Néhou trouva donc une petite notoriété à travers ce dernier potier traditionnel cuisant sa production à l’ancienne dans un four à bois et cela jusqu’au printemps 1977.
Papa, après une dernière cuisson, commença à ressentir des douleurs bizarres dans la poitrine et au mois de mai la biopsie fut formelle : il avait un cancer des poumons, assez avancé. Les thérapies traditionnelles lui furent appliquées, mais le mal était irréversible et il le savait très lucidement.
Il passa péniblement l’été 1977, fut très heureux fin septembre de venir à Bricquebec fêter les 2 ans de ma fille aînée, Ingeborg, et il passa une bonne et chaleureuse journée. Il fut néanmoins ré-hospitalisé plusieurs fois et, la dernière, début décembre.
Très lucidement, il sut recommander son âme à Dieu, car il était profondément croyant et put regarder venir la mort en face avec abnégation.
Le 15 décembre 1977, au petit matin, après avoir appelé son infirmière de garde au cours de la nuit et lui avoir dit « je crois que je vais mourir », il expira.
Le dernier potier de Mourot venait de disparaître et, avec lui, une tradition certainement pluri-millénaire.
Famille au complet 1927-1928, autour du malaxeur, à la poterie de Louis Hamel père, Alphonse (au 2ème rang, tête
nue).
Photo famille HAMEL
Louis BEUVE
Avant propos :
Walfrid HAMEL remercie tout d’abord les deux petits fils de Louis BEUVE, Olaf et Harold, d’avoir bien voulu lui communiquer la correspondance et divers souvenirs de la vie atypique de l’homme de lettre Normand.
1) La « Normandie » de Louis BEUVE.
L’œuvre poétique de Louis BEUVE ne peut être appréhendée et comprise qu’à travers la Normandie des vikings et il convient donc d’en rappeler la trame. Ainsi de 911 (création de la province) au traité de Saint-Clair-sur-Epte entre HROLF, le chef viking, francisé sous le prénom de Rollon et le roi de l’Ile de France, Charles le Simple, à la prise du château Gaillard par Philippe Auguste en 1204, la Normandie s’enrichit d’une histoire dense, rayonnante et guerrière, pratiquement sans égale.
Agrandissement du Duché entre 911 et 933 (rattachement du Cotentin après le Bessin en 924), administration rigoureuse et harmonieuse qui conduit à une opulence économique, départ de la famille de Tancrède de Hauteville où avec l’aval de la papauté est fondé par l’épée, le royaume des deux Siciles et surtout le refoulement des Sarrasins des terres italiennes (Calabre et Sicile). Prise en main du Duché par Guillaume le Bâtard, fils de Arlette de Falaise et de Robert le Magnifique. Conquête de l’Angleterre en 1066, après la bataille d’Hastings du 29 septembre et le sacre le 25 décembre 1066 à Westminster. Le royaume de France n’est alors qu’un état insignifiant par rapport à la puissance du royaume Anglo-Normand.
Louis BEUVE a d’ailleurs toujours revendiqué ce lien puissant entre les Anglais et les Normands à travers le drapeau aux trois léopards d’or sur écu rouge. En effet, le seul blason de la Normandie étant pour lui l’unique blason historique valable pour la Normandie. Sans qu’aucun texte ou ordonnance royale n’ait été mis à jour actuellement, tout porte à croire que Philippe Auguste, après la prise du Château Gaillard ait unilatéralement « gommé » le 3ème léopard qui est resté sur le blason de la couronne Britannique et sur celui de Jersey. Toujours est-il qu’à partir de 1204, le roi Jean Sans Terre dans la droite ligne de sa personnalité sans envergure perdait définitivement le Maine et la Normandie et ne se retrouvait que Roi d’Angleterre, alors que son flamboyant frère Richard Cœur de Lion (mort bêtement en 1199 au siège de Chalus) aurait pu lui, balayer les vues de Philippe Auguste sur la Normandie et qui sait….. devenir Roi de France.
Les croisades devaient également fournir de nombreux chevaliers normands aux troupes de la chrétienté et le souvenir de Tancrède de Hauteville (petit fils du premier) est resté dans les mémoires des croisés pour sa vaillance puisqu’il fût le premier des chevaliers à rentrer dans Jérusalemen le 15 juillet 1099 par la porte sud de la Ville Sainte. Avec révérence, tous les croisés ne l’appelaient-ils pas : messire Tancrède (y compris le Duc Godefroy de Bouillon).
Cette histoire raccourcie de la Normandie, malgré l’oubli des plantagenets et de Henri II dont le royaume allait de l’Ecosse au Pyrénées est avec la Normandie rurale du XIXème siècle et du début du XXème, la source d’inspiration privilégiée du Maître Louis BEUVE ;
2) Biographie de Louis BEUVE.
Louis BEUVE est né le 21 décembre 1869 à Quettreville-sur-Sienne où d’ailleurs il est décédé le 17 juin 1949. Il perd sa mère peu de temps après sa naissance et c’est une de ses tantes qui l’élève dans ses jeunes années à Angoville-sur-Ay. On peut, valablement d’ailleurs penser que c’est cette période de sa jeunesse qui lui fera aimer le Cotentin dont il fut avec Barbey d’Aurévilly, le chantre le plus aimé. Placé ensuite chez le curé de Crosville-sur-Douve pour y apprendre le latin où tout bon élève qu’il ait été (il gardera toujours beaucoup d’admiration pour Virgile), ses fugues dans la campagne et les marais demeurent célèbres. Combien de fois ne fut-il pas ramené en carriole à cheval alors qu’il poursuivait ses escapades dans les marais de la Sangsurière.
Il fit de bonnes études qui le conduisirent au lycée Malherbe de Caen et c’est en commis de librairie qu’il débute sa vie professionnelle à Paris. Avec François ENAULT et quelques normands en « exil » à Paris, il fonde la société du Bouais-Jaun, avec revue essentiellement en patois, première parution, le 8 janvier 1897. On peut valablement penser que c’est à cette époque que l’œuvre de Louis BEUVE en tant que poète en langue normande a pris racine.
Louis BEUVE, âgé alors de 28 ans est en pleine créativité et l’essentiel de son œuvre poétique date de cette fin du XIXème siècle. Vont être produites les pièces essentielles de son anthologie : Tcheu rei – la caichon du bouon beire – la galette de s’rasin – N’ay pae d’pommes – les traine à boue du marchi d’Coutainche en 1911 datent du millénaire – la grande lande de Lessay (1902) – Maître Tainneboy de Raoville la Pllèche (1909 etc……
D’autre part, conjoitement avec l’organisation du millénaire normand à Rouen en 1911, il est l’âme et l’organisation primordial des festivités du millénaire en 1933 à Coutances où il est « chez lui ». Rien ne se fait sans son aval et les autorités officielles, politiques ou littéraires doivent mettre genou à terre. C’est essentiellement en patois normand que les festivités historiques auront lieu. Sa notoriété, sa vigueur et sa détermination en ce domaine seront inébranlables, les fêtes durent une semaine complète (la semaine de la Pentecôte), elles furent grandioses. Louis BEUVE eut l’idée de la création du fameux « souper des vikings » dont le menu en patois met l’eau à la bouche ; tout y est authentique y compris les saveurs oubliées de la cuisine d’autrefois en Normandie.
Mais cette année 1933 est aussi celle où le climat politique en Europe devient bien sombre, la guerre arrive vite et bien que chantre de la nordicité, Maître Louis BEUVE sait raison garder. Il ne fléchit pas et fait perdurer le souvenir des vikings dans leur pureté historique.
La guerre de 1939-1945 le désole et il l’appellera « la grande breulerie » car en 1944, Saint-Lô, Cherbourg, Coutances, Valognes et quantité de petits villages normands sont détruits.
Il se retire à Saint-Lô d’abord, lieu de son travail et enfin à Quettreville-sur-Sienne où il meurt le 17 juin 1949 et y sera inhumé.
3) Louis BEUVE et les potiers de Mourot.
La recherche authentique de son Cotentin ancestral mis très vite Louis BEUVE en relation avec les potiers de Néhou.
Il est vint assez souvent et c’est une solide amitié, sans fioritures, mais sincère et profonde qui le lia avec Louis HAMEL, seul Maître potier exerçant encore à Néhou (devenu Saint-Jacques-de-Néhou en 1899).
Se retrouvant toutes les fins d’été à la célèbre foire de Sainte Croix sur la lande de Lessay, il n’en fallait pas plus pour que les liens soient solides.
La dernière grande foire de Lessay où Louis BEUVE et Louis HAMEL se retrouvèrent dans l’authenticité qui était chère au poète fut celle de 1938.
Les quatre fils HAMEL étaient là ainsi que leurs sœurs et Madame Louis HAMEL dont la « soupe à la graisse » parfumé la lande.
Celle de 1939 fut plus restreinte à cause de la guerre et assez paradoxalement, c’est là qu’un film fut tourné où Louis BEUVE et Louis HAMEL se retrouvèrent sur la lande.
Une page d’histoire est tournée, il reste les souvenirs et une profonde nostalgie de cette époque qui aurait ou fait dire à Pierre MAC-ORLAN « que cela relevait des mélancolies strictement personnelles » mais c’est aussi un peu de l’histoire de Néhou.
Louis BEUVE dans sa correspondance avec ma mère alors Marthe TRAVERS sur encourager la créativité et la continuité de authenticité Normande.
Ma mère créa alors le groupe folklorique des « Triolètes de Mourot » qui portant la canne de cuivre sur l’épaule et marchand en sabots de bois surent rendre, au grand poète, un hommage sublime, le jour de la messe huitaine de son décès en la cathédrale de Coutances.
Arrivant quelque peu en retard, car leur bus avait fait un arrêt dans la lande de Lessay pour y cueillir de la bruyère. Elles déposèrent de part et d’autre du catafalque leurs « cannes d’or » rehaussées de bruyère, ce qui fut loin de passer inaperçu.
Antérieurement, Louis BEUVE, au moment du décès de Louis HAMEL, le 9 Novembre 1941 avait écrit cette lettre de souvenirs et d’espoir.
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