MANOIR DE GONNEVILLE à SAINT-JACQUES-DE-NEHOU
Il s’agit d’une ferme fortifiée à cour fermée, très représentative de l’architecture civile de cette
région à cette époque (origines remontant au XIIIieme siècle), ce qui lui vaut d’être Inscrite
sur la liste Supplémentaire des Monuments Historiques (ISMH).
C’est un manoir en ce sens que l’usage y était civil et agricole (ce serait un château si l’usage
y avait été militaire et les constructions auraient été différentes).
Le seigneur et son fermier vivaient dans les bâtiments dont les ouvertures sont essentiellement
sur la cour intérieure. Les murs extérieurs sont majoritairement aveugles afin de pouvoir se
protéger des voisins avec lesquels il était fréquent de guerroyer. L’entrée était fermée par un
porche imposant, disparu depuis longtemps.
Le logis principal, remanié, est de style renaissance, soit du XVIieme siècle. Les hauteurs de
plafond sont importantes ainsi que le toit. Les fenêtres sont à meneaux. Sur les cheminées sont
disposées des boules, signe de manoir. Sur le chien assis de droite se trouve un cadran solaire,
plein sud.
La maison de droite, de hauteur plus basse, remonte aux origines, le XIIIieme siècle.
Après l’habitation du fermier se trouvent le cellier, puis l’écurie, proche afin de veiller sur les
chevaux rapidement et facilement. Tout naturellement la charretterie est placée à coté des
écuries. Les plafonds de cette partie droite ont tous été restaurés avec les matériaux d’origine :
les poutres et les solives sont en chêne, les interstices faites de petites lattes, en châtaigner. Le
tout est recouvert de torchis. Le toit a été rehaussé au XIXieme et la partie supérieure du mur
d’origine est très visible notamment au-dessus de la porte de l’écurie.
De l’autre coté de la cour se trouvent des bâtiments à usage strictement agricole : porcheries,
petites étables, grandes étables. Des contreforts imposants soutiennent des murs qui ont
pourtant prés d’un mètre d’épaisseur.
En vis à vis de la ferme se trouve le pressoir. Un tour à pomme, réimplanté mais identique à
celui d’origine, est en place, de même qu’une tonne à cidre (plus de 3000 litres), elle
totalement originaire du manoir. La fenêtre de la tonne s’appelle un « viquet ». Un pressoir à
longue étreinte s’y trouvait mais a disparu au fil du temps. Ci dessous un lien qui permet de
voir l’ensemble du processus de la fabrication du cidre telle qu’elle était pratiquée dans ce
pressoir: http://www.savigny-fete.fr/contenu/programme/programme.php?plus=pilous
Dans l’angle de la cour se trouve un pigeonnier. Ceci apporte la preuve d’une certaine
puissance du Sieur de Gonneville à l’époque, car seuls les gens d’importance pouvaient
posséder des pigeons, du fait de l’usage pour les communications. A l’intérieur on peut
dénombrer environ 400 niches. Les historiens s’accordent à penser qu’il y avait un rapport
entre le nombre de niches et la surface sur laquelle le seigneur étendait son pouvoir : environ
un hectare par niche. Ce qui laisse à penser que le seigneur régnait sur en gros 400 hectares.
Une échelle tournante était à l’intérieur afin de pouvoir soigner les pigeons tout autour, sans
jamais avoir à descendre de l’échelle. Le pilier central, flottant et pivotant, est encore en
place. Il faudrait y réinstaller les échelles le long des parois, ce qui est assez rapide et simple.
A l’extérieur de la cour se trouvent trois bâtiments particuliers :
En face de la sortie, là où il y a un garage actuellement, se trouvait la chapelle Saint Clair,
citée dans toutes les archives régionales. Le garage a été construit, il y a fort longtemps, avec
les pierres des ruines. De cette chapelle, seules subsistent les portes intérieures, actuellement
en place à l’intérieur du logis principal du manoir.
Dans le pré à droite de l’entrée se trouve une boulangerie avec son four à pain en parfait état
de fonctionnement. Le toit est en pierre. Il faut dire qu’à l’origine, tous les toits de ce manoir
étaient en pierre. Au fil du temps, lorsque les toits se sont effondrés, les différents
propriétaires y ont mis des ardoises. La difficulté avec les toits en pierres réside dans le fait
que la pierre est assez rare, donc extrêmement coûteuse, et il est nécessaire de disposer de
charpentes de très grande solidité afin de supporter le poids des pierres. Seuls le pigeonnier et
la boulangerie sont donc couverts de pierres aujourd'hui. Il est à noter que ce toit de la
boulangerie a été restauré à l’ancienne, ce qui signifie qu’il n’y a aucune pièce métallique
dans la construction. Les chevilles de la charpente sont en bois et les pierres sont tenues aux
lattes par des petites chevilles en châtaigner (bois imputrescible) qui passent dans un oeïl taillé
dans chaque pierre. Les pierres sont plus grosses en bas et plus petites en haut, car c’est un
moyen de gérer la pénurie de pierres sans dégrader l’esthétique : les plus belles pierres sont à
portée de vue en bas et l’effet de perspective masque le fait que, plus les pierres sont loin en
hauteur, plus elles sont petites.
Dans le pré derrière le pigeonnier se trouve le four à chaux. C’est la partie la plus ancienne du
manoir, car il fallait d’abord construire le four pour pouvoir ensuite construire la maison. La
chaux servait de mortier pour la construction des murs. En effet, si on regarde bien les murs,
on s’aperçoit qu’il n’y a pas de pierres mais plutôt des cailloux assemblés, car il n’y a pas de
pierres dans cette région. Seuls les tours de portes et de fenêtres sont encadrés de pierre. Pour
la fabrication de la chaux, il faut enfourner par le haut, « le gueulard », alternativement du
bois en combustion et du calcaire. La combustion provoque une réaction chimique qui produit
de la chaux vive à partir du calcaire, que l’on récupère au pied du four, « l’ébraisoire ». Il faut
4 à 5 jours à la combustion pour parcourir la hauteur du four et la température au milieu
atteint de l’ordre de 1000 degrés. Puis, en versant de l’eau, on transforme la chaux vive en
chaux éteinte. Celle ci servait donc d’abord de mortier pour la construction des bâtiments puis
le même four continuait à fonctionner pour l’amendement des sols.
Le manoir a vécu depuis son origine jusqu’en 1976 comme une ferme. Les exigences de
l’agriculture moderne ainsi que le développement de la restauration des anciennes demeures
ont fait que ce manoir est désormais uniquement un lieu d’habitation.
Le seul propriétaire connu de ce manoir a été le grand-père maternel de Guy de Maupassant.
Paul Lepoittevin est né en 1778 au moulin de Gonneville (sur la route de Bricquebec prés du
pont) car son père y était le meunier. Après avoir été très bien éduqué par le curé des Perques,
il alla s’installer à Rouen où il fit fortune dans l’industrie des textiles. Sa famille s’est ensuite
implantée dans le pays de Caux, se liant d’amitié avec la famille Flaubert (il était également le
parrain de Gustave Flaubert). Mais, pour ses vieux jours, Paul Lepoittevin est revenu dans son
pays d’origine, achetant le moulin de Gonneville, le manoir de Gonneville et le manoir du Dur
Ecu de l’autre coté de la rivière.
Nota : la table du pressoir s’appellerait l’emay
PROPRIETAIRES DE GONNEVILLE
(Selon les archives de Jean Barros)
1250
Robert de GONNEVILLE, vavasseur.
XIV siècle
Famille de BREUILLY
1421
Colin LEVEEL (Guillaume de BREUILLY fieffa la vavassorie de Gonneville à Colin
Leveel de Néhou)
Thomas LEVEEL, fils de Colin
1450 (environ)
Etienne du HECQUET (Thomas Levéel part avec les anglais à l’issue de la guerre de
100 ans. Etienne du Hecquet, son écuyer et créancier, se fit mettre en possession de
Gonneville).
1459
Girard TRAVERS (Etienne du Hecquet passa une transaction avec Girard Travers
qui était déjà fieffataire de Thomas Leveel pour une partie de Gonneville. La
vavassorie demeurait afin d’héritage audit Girard Travers).
1485
Jehan TRAVERS fils de Girard
1491
Jehan PITTEBOUT, écuyer
1515
Jehan PITTEBOUT, fils du précédent, sieur de Gonneville et de la Roquelle,
vicomte de Saint Sauveur le Vicomte, qui eut deux enfants Françoise et Jacques (qui
fut vers 1540-1550 seigneur de Graffard à Barneville de Gonneville et de la Roquelle).
1545 (environ)
Jacques PITTEBOUT, qui eut trois enfants Julien, Pierre et Jehan. Pierre devint
seigneur de Graffard, Julien eut la Roquelle et Jehan eut Gonneville.
1580 (environ)
Françoise PITTEBOUT car le dernier Jehan, héritier de Jacques Pittebout, était
décédé. Elle épousa Jacques PIGACHE, sieur de Lamberville, capitaine de cent
hommes d’armes pour Henri IV qui fut grièvement blessé à la bataille d’Ivry (1590
aujourd’hui Ivry la Bataille)
1600 (environ)
Jehan PIGACHE (fils de Jacques) seigneur de Gonneville
1640 (environ)
Charles PIGACHE (fils de Jehan) décédé en 1684
1685 (22 juin)
Guillaume de BEAUDRAP (mort en 1691) suite à une adjudication de la vavassorie
de Gonneville aux assises de St Sauveur le Vicomte. Voir note.
1691
Jacques de BEAUDRAP (fils de Guillaume)
1730 (environ)
François, Léonor, Théodore de BEAUDRAP (présumé fils du précédent)
1770 (environ)
Catherine de BEAUDRAP (fille du précédent), décédée en 1811 sans descendance.
1811
Pierre, François de BEAUDRAP (de la famille de la précédente)
1829 (15 octobre)
Jean, Paul, François Le POITEVIN (7/8/1778 – 3/1/1850) grand-père maternel de
Guy de Maupassant et parrain de Gustave Flaubert. Acquisition du Manoir et de 61 ha
pour la somme de 60 000F.
1850
Succession Paul Le Poitevin
1860 (26 octobre)
Michel Denis GARNIER, pharmacien à Bricquebec, pour 135 000F
1890 (environ)
Aimable GARNIER (supposé fils du précédent), décédé le 31/12/1905
1905 (12/12/1905)
Auguste, Léon, Joseph VASTEL (mort le 9/2/1907), pharmacien à Bricquebec,
légataire universel du précédent
1907 (9 février)
Victorine VASTEL née CHOUMINE veuve du précédent
1912 (1er février)
Louise, Augustine DELAUNE, née Vastel, fille des deux précédents par donation
(elle avait une soeur aînée Léonce, Victorine Vastel épouse Moeslet-Drouet)
1928 (13 février)
Jean FONTY et son épouse Joséphine ALAUX (demeurant au Château de
Brocqueboeuf à Lithaire) suite à un échange avec Louise Delaune née Vastel.
1929 (28 mars)
Alexis, Joseph DELCROIX, époux de Mathilde née Marchal pour 350 000F (201K€
de 2013).
1963 (21 septembre)
Jean DELCROIX, fils des précédents
2005 (9 octobre)
Denise DELCROIX née Mantel en succession du précédent, son époux
2008 (16 novembre)
Enfants DELCROIX suite au décès de la précédente
2010
Jean-Philippe DELCROIX
NOTE
Il semble que, lors du décret de l’adjudication du 22 juin 1685, le Manoir de Gonneville, plus
quelques terres et bois, ne furent pas compris dans cette adjudication. En effet, on trouve, en
1739, Marie Marguerite du Bosc, veuve non-héritière de Charles Martial Pigache, chevalier,
marquis de Gonneville, décédé en 1733. Charles Martial Pigache était entré aux
mousquetaires à cheval de la garde du Roi en 1684 et, en 1691, il était lieutenant sur la galère
« La Patronne » au port de Marseille. Il fut mis en congé en 1707. Les démêlés de Charles
Martial Pigache avec le Maréchal de Matignon en 1727 sont longuement racontés par Paul
Crépillon (voir la Revue de la Manche de janvier 1967, page 33, disponible dans mes
affaires).
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